Une fente en entraîne une autre
Jacques Charlier (Liège, 1939) est très justement considéré comme un artiste ayant expérimenté depuis la fin des années 1960, selon des scénarii multiples qui lui permettent d’investir des médiums très variés, de l’art conceptuel à la bande dessinée en passant notamment par la peinture, la musique et l’installation.
Après une brillante présentation à New York à Independent en mars dernier, la galerie a le plaisir d’accueillir la troisième exposition de l’artiste belge dans ses murs. Ce projet monographique fait suite à deux expositions à caractère rétrospectif réalisées par des institutions, à La Panacée (Montpellier), à l’initiative de Nicolas Bourriaud et l’autre, il y a deux ans au MAC’s Grand-Hornu, sous le commissariat de Denis Gielen.
C’est justement l’ensemble qui fut présenté dans la dernière salle du musée, la plus spectaculaire, qui fera l’unique objet de cette exposition à Nancy. Il s’agit d’une série de trente peintures sommairement intitulée Toiles pré-peintes avec fentes au cutter.
Charlier se livre, entre autres préoccupations, à une analyse de la peinture en tant que phénomène de style, dans l’histoire de l’art récente mais aussi au travers des rouages du marché et de ses emballements. Cette série satirique de peintures, augmentée pour l’exposition rétrospective au Grand Hornu, une fois installée, donne parfaitement le change et impressionne.
Dans un récent entretien, non sans ironie, l’artiste prévenait non seulement qu’il ne cite jamais de nom en titrant chacune de ces peintures toile pré-peinte fendue au cutter mais surtout qu’il ne s’agit de rien d’autre. “Mon intérêt pour l’artiste est le même que pour bien d’autres. Je trouve son esthétique remarquable. J’ai entrepris ces variations pour la simple raison, que je vois que dans chaque foire d’art, il est présent. Étant donné les formats, je finis par me poser des questions.”
Finissons par nommer tout de même celui-ci : on voit en effet de plus en plus de Fontana, de plus en plus magnifiques, qui auraient tendance à finir par rendre un peu incrédule le spectateur qui s’interroge… Mais aussi par rapport à la “fausseté de l’artiste” lui-même, qui se recopie sans arrêt parce que le style — quoi de plus sécurisant, quoi de mieux pour être pris au sérieux nous dit Charlier — naît du geste répété d’un artiste (Fontana) qui ne résiste pas à le décliner sous des variantes de dimensions, de couleur, de nombre de fentes, etc.
Jacques Charlier, qui a toujours brouillé les pistes et revendiqué de pouvoir choisir le style (ou le médium) qui lui convient le mieux pour exprimer son projet, vise une nouvelle fois à redonner au spectateur le temps de la réaction, de la mise à distance et de l’esprit critique.
Jacques Charlier est né en 1939 à Liège. Il a réalisé de très nombreuses expositions depuis le début des années 1960. Parmi les monographiques, citons celles au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles en 1983, au Musée d’Art Moderne de Villeneuve d’Ascq en 1988, à la Fondation Mona Bismarck à Paris en 1990, les rétrospectives au Casino Luxembourg en 1999 et au SMAK à Gand en 2003 ou bien encore les projets réalisés au Musée Juif de Belgique à Bruxelles en 2004 ou celui au Musée Félicien Rops à Namur en 2007. Après avoir participé en 1985 à la Biennale de Sao Paulo, il a été sélectionné en 2009 pour représenter la Belgique francophone lors de la Biennale de Venise mais son projet, 100 sexes d’artistes, fit alors l’objet d’une censure. Il fut finalement présenté sur un bateau avant de connaître ensuite plusieurs itérations. Ses œuvres figurent dans d’importantes collections publiques et privées, tant en France (Frac Champagne-Ardenne, Reims ; Frac Nord-Pas-de-Calais, Dunkerque ; Frac Occitanie, Montpellier ; Frac Poitou-Charentes, Angoulême ; Cnap, Paris-la-Défense), qu’en Belgique, Hollande, Allemagne, Luxembourg et aux États-Unis (MoMA, New York).