Sylvie Antoine, Bernard Borgeaud, Daniel Buren, André Cadere, Bruno Carbonnet, Philippe Cazal, Jacques Charlier, Claude Closky, Patrick Corillon, Rémi Dall’Aglio & Gianni Motti, Michel Dector Michel Dupuy, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Pierre Gauthier, Jean-François Lacalmontie, Bertrand Lavier, Marko Lehanka, Eléonore de Montesquiou, François Morellet, Etienne Pressager, Peter Rösel, Mimmo Rotella, Klaus Scherübel, Ernest T., Joan Taroop & Vitaly Glabel, Ben Vautier, Andy Warhol.
En gestation implicite depuis longtemps, cette exposition inhabituelle par sa densité, intitulée Nouvelles perspectives, s’est finalement concrétisée avec une échéance naturelle, celle de la fin du siècle.
Sa temporalité correspond à un moment clé qui voit Nancy, de manière conjuguée, réouvrir après extension son musée des Beaux-Arts et en guise de préambule au IIIème millénaire, “célébrer” l’Art nouveau et son Ecole.
Non sans ironie et avec des moyens beaucoup plus modestes, la galerie répond à cette offre événementielle fortement médiatisée par une exposition qui elle aussi, dans l’histoire de la galerie, fera date puisqu’elle coïncide avec son dixième anniversaire ; cependant ces Nouvelles perspectives ne présentent nullement un caractère commémoratif.
Le titre de cette exposition dissimule plusieurs intentions. Tout d’abord, celle de marquer d’une certaine façon — et paradoxalement — une pause après une longue succession d’expositions monographiques, par le biais d’un projet qui s’étend sur plusieurs mois, en raison de son caractère et de son ampleur exceptionnels puisque près de trente artistes français et étrangers de tout premier plan y figurent, la plupart ayant répondu à l’invitation de la galerie avec des travaux inédits voire produits pour l’occasion.
Nouvelles perspectives est délibérément une exposition à ralentir, alors que l’on s’attend aujourd’hui à ce qu’un projet chasse l’autre à une cadence effrénée. Prenons le temps de découvrir, de revenir, d’avoir du plaisir à côtoyer des œuvres.
A l’image de la configuration architecturale de la galerie, avec pour “amorce” son décor de fresques, vestiges “Art nouveau” redécouverts par Hervé Bize en 1994, mais dans un parcours totalement réaménagé pour l’occasion, cette exposition rassemble des individualités fortes et convie le spectateur à opérer une sorte de sédimentation visuelle.
En effet, Nouvelles perspectives se déploie par strates successives : œuvres historiques avec Mimmo Rotella et Indicazione metafisica, un décollage de 1961, Andy Warhol avec Cow wallpaper de 1966, François Morellet avec Morellet sur papier peint d’après Morellet,1958-72-99, reconstruit pour la première fois, André Cadere avec une imposante Barre de bois rond de 1975; œuvres flexibles rejouées (Reconciliation Room de Rémi Dall’Aglio & Gianni Motti), Daniel Buren avec Peinture sur médium avec adhésifs blancs, cinq éléments) et œuvres nouvelles enfin, entre autres dus à Bertrand Lavier, Jean-François Lacalmontie, Bruno Carbonnet, Dector-Dupuy, Noël Dolla, Marko Lehanka. Précisons que certains travaux peuvent se glisser habilement dans plusieurs “couches” à la la fois.
Si aucun médium n’est a priori privilégié, la dimension décorative de nombreuses œuvres est clairement revendiquée. Ainsi, le papier peint — ou wallpaper, le terme anglais accuse davantage la “muralité” — que l’on pourrait presque considérer comme un genre à part entière, tant de nombreux artistes contemporains en ont réalisé, est devenu ici un support privilégié pour structurer certaines parties de l’exposition.
Philippe Cazal (Papier chaîne, 1991), François Morellet déjà cité, Claude Closky (Sans titre, cosmétiques de 1997) Jean-François Lacalmontie (Sans titre, 1999), Taroop & Glabel (Madonna wallpaper, 1999) — ces deux derniers étant produits spécialement — constituent donc des pans de l’exposition dont l’emprise visuelle est bien évidemment proéminente.
Pour sa part, Bertrand Lavier crée ici Lutèce, une nouvelle œuvre en papier peint (du papier que tout un chacun peut se procurer), où le mur une fois recouvert reçoit en son centre un tableau classique avec un cadre doré renfermant le même motif mais dans une autre gamme de couleurs.
Eléonore de Montesquiou et Pierre Gauthier proposent deux œuvres qui usent du papier peint comme motif et médium. Dans les deux cas, il s’agit d’anciens papiers à fleurs. La première, avec Habitat : la salle de bain (1999), placée dans les toilettes de la galerie, surprend le spectateur qui est ainsi invité à s’isoler pour écouter les histoires collectées — réelles ou fictives ? — par l’artiste et restituées par un dispositif très simple.
Quant au second, dont la galerie vient de présenter la première exposition personnelle, il nous livre A. Aris (1997), une chaussure en papier peint, réalisée sur mesure, à partir du papier peint très sixties de sa chambre d’enfant. Placée non loin de Warhol, cette chaussure n’est pas sans évoquer la première période du mythique artiste américain, celle où il dessinait justement des chaussures.
Autre rapprochement troublant : les deux portraits de Plastic Bertrand, Plastic inévitable (1998) de Jacques Charlier, vrais-faux Warhol, qui cotoient le vrai, Cow wallpaper. Le titre de cette série de Charlier reprend celui des concerts-performances (précisément Exploding plastic inevitable) que Warhol organisa la même année et au cours desquels il produisit le Velvet Underground.
Pour l’exposition, Hervé Bize a renversé le procédé généralement adopté par les curateurs et conservateurs de musées pour Andy Warhol.
En effet, le Cow wallpaper qui recouvre d’ordinaire la totalité d’un mur prend ici un statut d’œuvre unique et repose sur le papier d’un autre artiste, en l’occurrence le Papier chaîne de Philippe Cazal.
Signalons au passage qu’il s’agit de la première version de Cow wallpaper, celle de 1966, dont on se souvient que Warhol tapissa la galerie Leo Castelli à New York en déclarant qu’il abandonnait la peinture. Enfin, avec Peinture barbante (1996), Ernest T. donne aussi la réplique à Cow wallpaper avec une autre figure iconique contemporaine, celle de la poupée Barbie.
Revenons dans la salle des fresques, où Daniel Dezeuze présente l’une de ses toutes dernières œuvres, un Panneau extensible (1998), au caractère très pictural, une pièce qui renoue certes avec l’esprit de la période Supports-Surfaces mais en intégrant l’ensemble des expériences qui jalonnent sa démarche.
L’œuvre de Patrick Corillon, Conversations téléphoniques (1996), fait écho à la salle qui l’accueille puisque ces deux protagonistes fictionnels, Oskar Serti et Catherine de Sélys, entrent en relation naturelle avec les fresques dédiées à Mozart, Berlioz, César-Franck, Grieg et Liszt.
Face à elle, Morellet sur papier peint d’après Morellet est une œuvre exceptionnelle à plus d’un titre. En effet, Morellet inaugura en 1972 un nouveau chapitre avec cette œuvre, celui des Tableaux en situation. Il y concentre, non sans ironie bien évidemment, sa propre position d’artiste ainsi qu’une distance critique face à son œuvre. Elle n’a été présentée qu’une seule fois auparavant, durant l’été 72 au Musée de Grenoble, au moment même où Daniel Buren, lequel occupe le verso du mur dévolu à Morellet, procédait, lors de la Documenta 5 à Kassel, à Exposition d’une exposition au moyen d’un papier collé rayé blanc sur blanc qui pouvait, selon sa situation, être apprécié, en tant qu’affiche, décoration ou peinture.
Dans la même salle, les deux hautes fenêtres sur cour sont partiellement occultées par l’installation de Dector-Dupuy. De l’extérieur, sa trompeuse apparence minimale de rideaux en papier dissimule Slogans recueillis sur les murs (1999) que l’on découvre une fois à l’intérieur de la galerie. Ces slogans, collectés par les deux artistes, nous sont restitués dans une composition in situ qui les ordonnent en fonction de leur longueur et suscitent par conséquent de surprenants télescopages (« Merci Zizou », « Jospin au RMI » par exemple).
Ces Nouvelles perspectives sont aussi l’occasion de revoir quelques œuvres de Peter Rösel, trois Yuccas (1997), ces fameuses plantes réalisées à partir d’uniformes de policiers allemands cousus, qui accueillent les visiteurs à l’entrée et de découvrir également pour la première fois en France le travail d’un autre artiste allemand, Marko Lehanka qui a investi la sorte de vestibule qui boucle le parcours.
Une fontaine, Le génie de la bouteille, grand modèle (1998), deux autres petites sculptures, subrepticement placées ainsi qu’un ensemble d’assiettes peintes donnent un aperçu d’un travail pour le moins étonnant, dont l’apparente légèreté n’est pas sans dissimuler un engagement et une réflexion particulièrement intenses. Lehanka partage notamment cet espace avec l’autrichien Klaus Scherübel, représenté par une suite de Hobby drawings, des dessins au crayon que réalise l’artiste en guise de “détente”, déclare-t-il.
Si certaines œuvres manifestent naturellement une emprise visuelle pour le moins conséquente, c’est bien évidemment le cas des wallpapers, il n’en demeure pas moins que certains artistes, représentés par des travaux moins démonstratifs et plus intimistes, n’en sont pas pour autant relégués à une quelconque figuration, bien au contraire. Ces œuvres incarnent bel et bien une des strates du projet. Il en va ainsi de l’œuvre de Ben présentée, Je n’ai rien à vous montrer (1988), laquelle se dissimule derrière un rideau noir.
Non loin, les trois tondi de Noël Dolla, Petits ronds de La Havane (1999), surfaces monochromes roses ponctuées de motifs aléatoires réalisées avec la fumée d’un flambeau de cire renvoient allusivement, d’une salle à l’autre, aux Ciels (1998) de Bruno Carbonnet. Dolla et Etienne Pressager, ce dernier avec Disparition d’un cadre doré, par réduction (1997), voisinent sans complexe avec les œuvres plus imposantes de Bertrand Lavier et Daniel Buren.
Jean-François Lacalmontie, qui poursuit un travail sur la mémoire, opère en quelque sorte des allers-retours à l’intérieur de son œuvre. Il a conçu un espace, sorte de work in progress qui mêle un papier peint inédit, exhibant pour motif un petit diable très sexué, des photographies, des textes et des dessins, éléments qui viendront s’ajouter au fur et à mesure du déroulement de l’exposition. Lacalmontie n’est d’ailleurs pas le seul artiste à avoir envisagé sa participation ainsi ; Klaus Scherübel, profitant de la conséquente documentation consultable, projette d’en faire le matériel d’une intervention.
Voilà qui nous mène dans le bureau de la galerie. Envisagé au début des années 90 pour Jean-Paul Gaultier et spécialement produit pour l’occasion, le Madonna wallpaper de Taroop & Glabel est le seul papier peint qui investit en une frise pour le moins décorative la totalité de cet espace qui est ouvert au public pour la première fois et dans lequel se trouvent des vitraux du début du siècle. C’est également dans cette partie de la galerie qu’est rejouée Reconciliation Room, une installation de Rémi Dall’Aglio et Gianni Motti. Ses éléments constructifs, deux hamacs suspendus et leurs coussins, un tapis, une plante verte (cette fois réelle) et une bande son, paroles et musique, réalisée par des professionnels et habilement détournée par les deux artistes génèrent une installation que les deux artistes déclarent avoir conçue par… télépathie. Comme l’indique son titre éponyme, elle invite le spectateur à se reconcilier avec un ami, un parent, une idée voire soi-même.
Enfin, Nature morte, clémentines (1997) de Sylvie Antoine et D’un seul geste (1995) de Bernard Borgeaud, deux œuvres pour lesquelles les deux artistes ont usé des technologies les plus récentes offertes dans le traitement des images (qu’elles aient une origine réelle pour Sylvie Antoine ou immatérielle dans le cas de Bernard Borgeaud), bouclent l’accrochage de cette partie.
Wallpapers, peintures, dessins, récits, objets, nouvelles images pontuent cette exposition qui passe allègrement du visuel au sonore, d‘une culture populaire à une culture plus “savante” pour solliciter d’une façon constante l’attention et le déplacement du spectateur.