(Français)
Arman, Jean-Pierre Bertrand, Jean-Marc Bustamante, Philippe Cazal, Robert Combas, Daniel Dezeuze, Philippe Favier, Gloria Friedmann, Jochen Gerz, Raymond Hains, Jean Hélion, Jean-François Lacalmontie, Bertrand Lavier, François Morellet, Emmanuel Saulnier, Ben Vautier, Claude Viallat.
En prêtant des documents iconographiques pour les ouvrages sur l’art en France entre 1945 et aujourd’hui, publiés par Les Nouvelles Éditions Françaises, la galerie a saisi l’occasion de construire une exposition réunissant quelques-uns des artistes les plus marquants des trois dernières décennies.
Le choix d’Hervé Bize ne correspond pas aux césures opérées par l’éditeur et les auteurs (la période 1945-60 est traitée par Alain Bonfand et celle couvrant 1960-95 par Claude Minière) : il en va ainsi, entre autres, de la présence dans l’exposition de Jean Hélion, manière d’exprimer que l’art est aussi et surtout affaire de filiations, ou de Raymond Hains, dont le travail ne figure que dans le livre de Bonfand, au titre des Nouveaux Réalistes.
Le livre de Claude Minière, consacrée à la période contemporaine, a fait office de déclencheur pour l’élaboration de ce projet d’exposition qui se devait de trouver son autonomie.
Hervé Bize a invité la majeure partie des artistes sollicités à envisager leur participation en fonction du contexte, et surtout de la configuration de l’espace de la galerie. Ainsi, de nombreux travaux sont inédits mais des pièces parfois plus anciennes trouvent également, par le biais de l’accrochage qui se déploie dans les deux salles, des activations fructueuses. Des lectures croisées sont ainsi générées au gré du déplacement du visiteur.
Les œuvres qui ne proviennent pas directement des artistes appartiennent à la collection d’Hervé Bize, ce qui a sans nulle doute favorisé leur inscription dans l’exposition.
Voici en quelque sorte le synopsis.
De Robert Combas, on peut voir une œuvre de 1987 intitulée Une partouze somptueuse…, dont la facture dense, qui fait place tout à la fois à l’humour et à l’obscénité, manifeste le jeu poursuivi par l’artiste entre la langue, l’écriture et l’image.
Philippe Favier a souvent renversé dans son travail les rapports d’échelle, prenant le parti des choses ; un ensemble de neuf ardoises (1993-94) est réuni pour l’occasion. Dans une vitrine placée dans la première salle de la galerie, un rapprochement est tenté entre une autre pièce de Favier (La chute, 1986) et une œuvre sur papier de Jean Hélion, Figures tombées réalisée en 1982, quelques mois à peine avant que l’artiste, aveugle, ne soit contraint d’interrompre un travail acharné et essentiel.
Après la rétrospective organisée par le Musée d’Art Contemporain de Marseille, l’on peut espérer que la portée de la démarche de Ben Vautier soit plus justement mesurée. L’écriture présentée, Art ennuyeux (1987), empreinte d’ironie, révèle les interrogations constantes de Ben sur la vie, l’art et les avatars de notre société. (Le jeu de la vie, un multiple édité par la galerie en 1990, figure également dans l’exposition).
A l’image de Ben, Philippe Cazal a aussi introduit au travers de son nom — sa signature d’artiste est devenue un logo — un jeu de miroirs, dont les “produits” plastiques, faisant appel à des moyens très diversifiés, ont toujours un impact visuel fort et immédiat, témoin les deux pièces exposées, Projet pour un motif (1993), une affiche sérigraphiée et Échantillon (1995), dont la mise en œuvre, polymorphe mais répondant à un certain nombre de prescriptions définies par l’artiste, s’apparente à un parasitage.
C’est aussi par un phénomène de construction par glissement sémantique que travaille Raymond Hains. A l’instar de François Morellet, son exact contemporain, ils opèrent sur le mode de la déconstruction et effectuent des allers-retours dans une généalogie récente (Duchamp-Picabia). Hains, avec un diptyque intitulé Petit hommage à Sonia Delaunay (1995), nous renvoie à son esthétique du détournement et l’utilisation de cadres constitue en quelque sorte un clin d’œil au Nouveau Réalisme.
Quant à l’œuvre de Morellet, Free-vol n°8 (1992), réalisée à partir de son système fétiche (une page d’annuaire téléphonique), elle nous invite à une réflexion sur le statut de l’œuvre au moyen de principes essentiels chez Morellet, l’ordre et le désordre, ou bien encore la logique et l’absurde.
Il y a chez eux la volonté de démythifier l’acte créatif, ce que Jochen Gerz pourrait traduire par une formule L’art, c’est quelque chose de normal, un terrain d’échange, de réciprocité. Dans sa démarche, où la mémoire est une notion indissociable de celle d’invention, il s’exprime aussi bien en associant photographie et texte — dans l’exposition, Fishing water, 1995 — qu’avec la vidéo ou d’autres moyens.
Une autre artiste d’origine allemande, installée en France, est présente dans l’exposition, Gloria Friedmann. Elle recherche dans son œuvre une interpénétration de l’art avec la nature, alors que nous vivons dans un monde où tout s’accélère.
Dans une série intitulée Parias, entreprise en 1993, c’est le matériau brut qui est “sommé de révéler sa beauté”. Cet art “pauvre”, constitué d’aliments, permet à Gloria Friedmann, allusivement et insidieusement, d’engager un dialogue avec une peinture “plus noble”. Les Spaghettis (1995) n’évoquent-ils pas, ici aussi non sans ironie, une sorte d’écriture automatique chère aux Surréalistes ?
Jean-Pierre Bertrand a également souvent convoqué des agents naturels dans son travail (miel, citron, sel), constitutifs d’une alchimie propre à l’artiste. La notion de cadre, le temps sont inscrits dans sa démarche depuis son origine, cinématographique, faut-il le rappeler. La pièce, sans titre, présentée dans l’exposition est spécifiquement conçue pour l’occasion : l’intrusion d’une image télécopiée, issue d’un film réalisé en 1993, placée à proximité d’une barre monochrome, opère une sorte de court-circuit visuel et temporel.
Emmanuel Saulnier poursuit un travail de sculpture marqué par l’intervention spécifique dans les lieux qui lui sont proposés. Il reste fidèle à un matériau d’élection, le verre, pour élaborer ses dispositifs. Sa démarche entretient une relation singulière, avec l’espace et le spectateur, et génère, dans le cadre de son appréhension, un subtil rapport de déplacement.
Jean-François Lacalmontie introduit dans l’exposition une dimension virtuelle avec la présentation inédite du Chant des sirènes (1995), une pièce réalisée à partir d’un micro-ordinateur doté d’une programme spécifique.
Dans son travail pictural, Lacalmontie use d’une banque de données, des dessins, dont il peut tirer parti à l’infini pour constituer les images de ces tableaux (d’ordinaire sur toile ou sur papier). Un logiciel permet, dans le cadre de cette nouvelle génération de pièces, aux dessins de se créer sous le yeux du spectateur et de défiler comme des mirages.
Ces œuvres pourront adopter des dispositifs différents : à Nancy, l’artiste a provoqué, au moyen d’un papier-affiche, un dialogue discret avec la fresque du début du siècle qui couvre certains murs de la galerie.
Claude Viallat et Daniel Dezeuze ont partagé l’aventure du groupe Supports-Surfaces et leurs œuvres semblent toujours aujourd’hui partager un caractère nomade. Viallat reste fidèle à cette forme d’éponge comme outil visuel expansionniste ; dans l’exposition, un rideau au crochet sert de support à ses formes déchiquetées, à peine identifiables.
Dezeuze, quant à lui, manipule des matériaux (échelles, gaze, …) ou des objets : la configuration de ses pièces, dessins ou assemblages, évoquent également une forme de nomadisme, parfois accentué par l’accrochage.
Bertrand Lavier, dont le travail est généralement identifié par des objets, associés sous forme d’équations ou repeints — une balise de chantier pour Capri, l’œuvre présentée dans l’exposition, est plus proche de Brancusi, Picabia, Léger que de Duchamp. Ses chantiers d’œuvres, empreints d’un humour corrosif, provoquent aussi des courts-circuits visuels et esthétiques, où l’art et la réalité se télescopent.
Terminons par Arman. Depuis les années 1960, celui-ci est aussi identifié pour son travail autour et avec les objets. Deux œuvres de 1966 et 1970, placées dans la vitrine, Cachet et Colère de réveil, sont des prélèvements opérés par l’artiste puis réinjectés dans le réel après une appropriation plastique prédéterminée (ici inclusion et empreintes).