LABANQUE BÉTHUNE
7 SEPTEMBRE 2018 — 18 FÉVRIER 2018
Bas Jan Ader, Chantal Akerman, Hans Bellmer, Jacques-André Boiffard, Eugène Von Bruenchenhein, Charlotte Charbonnel, Clément Cogitore, Marguerite Duras, Marco Godinho, Oda Jaune, Atsunobu Kohira, Pierre Molinier, Romina De Novellis, Frédéric D. Oberland, Florencia Rodriguez Giles, Anne Laure Sacriste, Markus Schinwald, Pia Rondé, Fabien Saleil, Gilles Stassart, Claire Tabouret, Sabrina Vitali, Daisuke Yokota, Jerome Zonder, Zorro.
J’appelle expérience un voyage au bout du possible de l’homme.
Georges Bataille
Intériorités est le deuxième temps fort de la trilogie La Traversée des inquiétudes. Cette exposition fait suite à Dépenses, exposition inaugurale du cycle et présentée à Labanque d’octobre 2016 à février 2017. Il s’agit de dévoiler le fruit d’une recherche curatoriale qui n’a pas de modèle : c’est une entreprise de recherche qui avance en forgeant sa méthode, et dont les agencements se recomposent en permanence et s’affinent par le geste et les formes auxquelles nous parvenons (ces formes de dialogues entre les artistes, les œuvres, les espaces et les textes).
Ici, nous avons eu pour fil rouge une relecture de L’Expérience intérieure (1943), livre qui est sans doute l’un des plus périlleux de Georges Bataille. Ecrit pendant la Seconde Guerre Mondiale, il s’agit alors pour son auteur de construire une philosophie du « non-savoir », relatant « le récit d’un désespoir », celui d’une « expérience nue, libre d’attaches, même d’origine, à quelque confession que ce soit » et d’une « mise en question (à l’épreuve), dans la fièvre et dans l’angoisse, de ce qu’un homme sait du fait d’être ». Ce livre échappe, tenant autant de l’essai philosophique, que du poème ou du journal intime fragmenté. Bataille y décrit — par à-coups, illuminations, éclairs de lucidité, errances, silences et confessions — la nuit et l’intensité qu’il traverse.
Aucune réponse, donc. Mais, un labyrinthe que nous rejouons dans l’exposition : des grottes de Lascaux aux obscurités les plus lumineuses; de l’errance dans les tréfonds souterrains, ou dans les ruines de Pompéi, vers une ascension sur le cratère d’un volcan; du retranchement dans une chambre secrète jusqu’à l’ouverture recherchée sur le monde en partage.
Ainsi, parcourir l’exposition sera en soi une expérience intérieure pour le visiteur libre de son parcours, embarqué dans « un voyage au bout du possible » et une exploration poétique. Bataille nous dit bien que la vérité n’est pas dans le discours ou dans la démonstration, mais que c’est plutôt ce qui s’exercerait, pas après pas, à travers l’inconnu. C’est pourquoi le corps du visiteur, est ici appelé à être engagé, en promenade ou en apnée, les sens alertés, acceptant peut-être de se laisser surprendre et de perdre ses repères.
AU-DESSOUS DU VOLCAN
Nous faisons l’hypothèse que le mouvement interne de l’expérience intérieure est ascensionnel, qu’il s’agit de traverser de la nuit primitive, vers un dépassement que Bataille qualifierait de « sacré immanent ». Si l’exposition possède une dimension tellurique, c’est en écho à l’expérience que Georges Bataille a pu vivre en 1937, lors de son ascension de l’Etna. L’œuvre de Marco Godinho, réinterprétant ce voyage initiatique sur les pentes du volcan mythique, y fait directement écho ; de même que celle de Charlotte Charbonnel, s’inspirant de vulcanologie et de minéralogie en mettant en jeu les Éléments et les matières ; tandis que Romina De Novellis s’empare d’un autre volcan par sa performance dans les ruines de Pompéi, du coucher du soleil au lever du jour, face au Vésuve. Les artistes ont ressenti le besoin d’impliquer leur corps, comme s’ils ne pouvaient faire autrement. Dans cette perspective, la dimension performative de l’œuvre de Sabrina Vitali délimite un espace rituel, pendant que celle d’Atsunobu Kohira engage la question énergétique du sommeil et de la danse. L’exposition se conclut sur le vertige d’un renversement, des profondeurs au sommet, du sommet aux profondeurs.
Léa Bismuth